L’histoire du commerce Transsaharien
Depuis des siècles, le Sahara ne fut pas seulement une barrière naturelle entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne. Il fut aussi un vaste territoire d’échanges, traversé par d’immenses caravanes reliant les peuples, les cultures et les marchandises. Dès le IXᵉ siècle, un réseau de routes commerciales s’est organisé à travers cet océan de sable, reliant les villes méditerranéennes aux royaumes sahéliens. C’est le début du commerce transsaharien, un commerce caravanier à dos de dromadaire, florissant entre le XIIIᵉ et le XVIᵉ siècle, dont l’influence se lit encore aujourd’hui dans les oasis du sud marocain.
Une traversée du désert entre les peuples du Nord et du Sud
Gigantesque barrière entre les hommes, ceux du nord et ceux du sud du continent africain, le Sahara a donné lieu dès le IXe siècle aux origines du tout premier commerce transsaharien. Le commerce transsaharien, caravanier et chamelier a été pratiqué essentiellement entre le XIIIe et le XVIe siècle. Il concernait le commerce à travers le Sahara entre les pays méditerranéens et l’Afrique subsaharienne.
Bien que ce commerce ait connu son apogée entre le XIIIᵉ et le XVIᵉ siècle, ses origines remontent à des périodes bien plus anciennes. Le Sahara, loin d’être infranchissable, devint un lien vital entre deux mondes : celui des sables et celui des savanes, celui de l’or et celui du sel, celui de l’islam du Nord et des royaumes animistes du Sud.
Les prémices : échanges antiques et routes pionnières
Bien avant l’essor des grandes caravanes transsahariennes du Moyen Âge, les civilisations méditerranéennes avaient déjà pressenti le potentiel commercial des territoires africains situés au sud du désert. Ce sont les prémices d’un réseau d’échanges encore balbutiant, mais déjà stratégique, qui allait poser les fondations du commerce transsaharien.
Dès le IXᵉ siècle avant notre ère, les Grecs et les Phéniciens ont entamé les premiers échanges avec les régions d’Afrique centrale depuis les rives méditerranéennes. Ce commerce primitif, relayé ensuite par les Carthaginois puis les Romains, s’appuyait sur des itinéraires côtiers et des pistes sahariennes encore mal maîtrisées. À cette époque, les convois étaient plus courts, moins réguliers, mais déjà motivés par la recherche de produits rares.
Les biens convoités étaient précieux : ivoire, plumes d’autruche, peaux exotiques… mais surtout, les esclaves. Cette main-d’œuvre servait aussi bien dans les champs que dans les armées ou les maisons aristocratiques des cités antiques. Ces premiers contacts ont peu à peu façonné les prémices d’un axe Nord-Sud, qui trouvera son plein développement à l’époque médiévale.

Le commerce caravanier à son apogée
À partir du XIIIᵉ siècle, le commerce transsaharien atteint son apogée. Grâce à la maîtrise du désert et à l’utilisation du dromadaire, les échanges entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne prennent une ampleur inédite. D’immenses caravanes relient les cités du Maghreb aux grands royaumes sahéliens, dans un ballet régulier de marchandises précieuses.
Un réseau marchand organisé autour du dromadaire
Dès le Moyen Âge, les Berbères du nord de l’Afrique, peuples nomades aguerris, se spécialisent dans le commerce caravanier. De leur côté, les tribus du sud développent l’élevage des dromadaires, devenus les piliers logistiques de ces longs voyages à travers les dunes.
Les marchandises échangées sont variées. Depuis le sud, on remonte l’ambre, la gomme arabique, les peaux, mais surtout l’or et les esclaves. Du nord, arrivent les tissus, les bijoux, les dattes, le blé et le fameux sel du Sahara, parfois échangé au poids contre de l’or dans les cités sahéliennes. Ce commerce prospère donne naissance à des circuits très organisés, où les caravanes, parfois composées de plusieurs milliers de dromadaires, suivent des itinéraires sécurisés et minutieusement planifiés.
Les trajets se préparent plusieurs mois à l’avance, avec une répartition précise des rôles : guides, chameliers, commerçants, protecteurs armés… Le regroupement en grandes caravanes permet de limiter les risques d’attaques de pillards, fréquents dans les zones désertiques.
Sidjilmassa, carrefour stratégique du Maroc
Au Maroc, la ville de Sidjilmassa devient le point névralgique de ces échanges transsahariens. Fondée au VIIIᵉ siècle près de l’actuelle Rissani, dans la région du Tafilalet, elle est rapidement surnommée « le port du Nord du Sahara ». C’est ici que se croisent les routes reliant l’Afrique noire et l’Afrique blanche.
Sidjilmassa attire les négociants venus de toutes les grandes villes du Maghreb. Sa position centrale, entre Kairouan en Tunisie et Aoudaghost en Mauritanie, en fait une plaque tournante incontournable. Elle émet même sa propre monnaie, participe activement à la diffusion de l’islam dans les régions sahariennes et sahéliennes, et devient un haut lieu de richesse et d’influence.
Le rayonnement de Sidjilmassa s’étend bien au-delà du Sahara. Les voyageurs et érudits comme Ibn Battûta, qui y passe au XIVᵉ siècle, témoignent de l’intense activité commerciale et de la sophistication de cette ville au cœur du désert.

Une organisation sociale hors norme
Derrière les grandes caravanes transsahariennes se cachait une véritable ingénierie sociale et logistique. Ce commerce de longue distance, exigeant des mois de préparation et des parcours de plusieurs milliers de kilomètres, ne pouvait fonctionner sans des structures profondément ancrées dans les sociétés locales, du nord comme du sud du Sahara.
Réseaux tribaux, caravanes et logistique marchande
Le commerce transsaharien reposait d’abord sur des communautés familiales et tribales, souvent structurées en véritables réseaux d’information. Ces réseaux permettaient aux commerçants de connaître les fluctuations des prix selon les régions, les conditions de sécurité ou encore l’approvisionnement en denrées. C’est ce tissu humain, invisible mais puissant, qui garantissait la fiabilité du système.
Les caravanes, véritables villes en mouvement, étaient composées de centaines, parfois de milliers de dromadaires, et mobilisaient des dizaines de personnes. Chaque expédition nécessitait une organisation millimétrée : parcours, points d’eau, haltes, relations diplomatiques ou commerciales avec les tribus locales… tout était planifié. Le rôle des guides du désert, capables de s’orienter sur des centaines de kilomètres grâce aux étoiles, aux dunes ou à la texture du sable, était crucial.
Les voyages étaient longs, éprouvants, mais aussi porteurs d’une prospérité remarquable. Commerçants du nord comme du sud, de l’est comme de l’ouest, pouvaient s’enrichir, et certains bâtirent de véritables fortunes, visibles dans l’architecture et la culture des villes caravanières comme Tombouctou ou Oualata.
Rôle des commerçants juifs et des femmes dans les échanges
Selon la chercheuse Ghislaine Lydon, professeure à UCLA, certains réseaux transsahariens étaient gérés depuis la région du Noun, au sud du Maroc, par la confédération Tikna — un groupe d’arabophones hassaniya et parfois amazighs. Ces marchands géraient les flux de marchandises, les itinéraires et les alliances, sur plusieurs générations.
Fait souvent méconnu : les commerçants juifs du sud marocain jouèrent également un rôle actif dans ces échanges, notamment en tant qu’intermédiaires ou négociants. Installés dans des ksour (villages fortifiés), ils contribuaient à la vitalité économique des oasis.
Certaines femmes participaient elles aussi au commerce caravanier. Propriétaires de marchandises ou veuves marchandes, elles géraient parfois leurs affaires à distance ou prenaient part aux transactions locales. Une réalité encore trop peu documentée, mais bien présente dans la mémoire des régions sahariennes.
Un commerce diversifié
La diversité des climats, des ressources et des savoir-faire entre l’Afrique du Nord et les régions subsahariennes a favorisé un commerce florissant. Chaque région apportait ses richesses, et l’intensité des échanges allait bien au-delà de la simple circulation de biens : elle façonnait les cultures, les économies et même les équilibres politiques du continent.
Or et sel : la colonne vertébrale du commerce transsaharien
Parmi toutes les marchandises, deux dominaient de loin les autres : l’or et le sel. L’or provenait en grande partie des royaumes du Sahel, notamment de la région du fleuve Sénégal et de l’ancien empire du Mali. Ce métal précieux transitait vers le nord à travers des villes comme Tombouctou, Oualata ou Gao, avant d’alimenter les marchés du Maghreb et de la Méditerranée.
En échange, les caravanes apportaient des blocs de sel extraits des mines sahariennes de Taghaza, Teghaza ou Taoudeni. Ce sel, vital pour la conservation des aliments et l’équilibre alimentaire, était parfois échangé au poids contre de l’or pur. On disait même que dans certaines régions, une plaque de sel valait son équivalent en or.
Tissus, ambre, gomme arabique, peaux, dattes et bijoux
Autour de cet axe majeur or/sel gravitait une multitude d’autres produits. Le sud fournissait de l’ambre, de l’ivoire, des plumes d’autruche, de la gomme arabique et des peaux précieuses. Le nord, de son côté, exportait des tissus ouvragés, du cuivre, des armes, des bijoux, du blé, des dattes et de la poterie.
Ces échanges n’étaient pas toujours monétaires. Le troc, parfaitement codifié, était une pratique courante : une mesure de sel valait tant de tissus, une once d’or équivalait à telle quantité de dattes… Les commerçants maîtrisaient ces équivalences avec précision.
Esclaves : une réalité historique douloureuse
Le commerce transsaharien impliquait aussi, et de manière significative, la traite des esclaves. Des hommes, des femmes et des enfants capturés dans les régions subsahariennes étaient acheminés vers le nord pour être vendus comme domestiques, soldats, agriculteurs ou concubines.
Même si l’islam imposait des règles sur le traitement des esclaves et interdisait la réduction en esclavage de musulmans, la réalité du terrain fut souvent différente. L’ampleur de cette traite humaine fut considérable, bien qu’elle reste moins documentée que la traite atlantique. Elle a laissé des traces profondes dans l’histoire sociale et culturelle de toute la région saharienne.

L’héritage du commerce transsaharien aujourd’hui
Si les grandes caravanes ont peu à peu disparu avec l’arrivée du commerce maritime, puis du transport motorisé, les traces du commerce transsaharien sont toujours bien visibles dans les paysages, les villes et la culture du sud marocain.
Dès le XVIIᵉ siècle, le déclin s’amorce : les routes commerciales s’effacent progressivement au profit des voies maritimes contrôlées par les puissances européennes. Les grandes villes caravanières perdent en influence, et certaines comme Aoudaghost ou Oualata sombrent peu à peu dans l’oubli. Mais d’autres, comme Tombouctou ou Rissani, conservent leur aura.
Au Maroc, l’héritage de ce commerce millénaire se lit dans les ruines de Sidjilmassa, les ksour du Tafilalet, l’architecture des oasis, les traditions des grandes familles commerçantes et les récits transmis de génération en génération.
Aujourd’hui, voyager dans cette région, c’est marcher dans les pas des caravaniers. C’est visiter les souks de Rissani, goûter au thé partagé dans les bivouacs du désert, découvrir les savoir-faire hérités de l’artisanat transsaharien, ou encore croiser les descendants des familles qui, jadis, organisaient les longues traversées du désert.
Pendant des siècles, le Sahara n’a pas séparé : il a relié. Il a vu passer des milliers de caravanes chargées d’or, de sel et de récits. Ce commerce transsaharien a modelé les routes, les cités, les savoir-faire et les mémoires, des dunes du Maroc aux savanes du Sahel.
Aujourd’hui, dans les palmeraies du Tafilalet, les ruelles de Rissani ou les dunes de Merzouga, l’empreinte de ces échanges résonne encore. Partir sur les traces des caravanes, c’est s’offrir un voyage dans le temps. Un voyage où l’histoire s’écrit dans la poussière des pistes et dans le silence du désert.
